Thierry Verdan, compagnon de ce merveilleux voyage en Chine, m'a
demandé de préfacer son récit. Ma carrière m'ayant mené dans les chemins obscurs de la science, je
représente en conséquence, le type même du distrait, absorbé dans ses
pensées. et c'est ainsi que j'apparais dans ce récit sous les traits de …Lucien
Lagrange; un distrait qui est malgré tout sensible au charme, au sens d'observation (
parfois pessimiste ! ) et au talent avec lequel l'auteur relate cette
expérience. Pour préparer cette aventure, mon épouse et moi-même avions compulsé
bon nombre de documents mais une chose restait introuvable : "une
expérience vécue ". Je crois que c'est chose faite.
Tribulations d'un voyage en Chine
(
Thierry Verdan )

Berne, samedi 01 juin 1985
Rencontre du groupe :
Un Belge qui s'intéresse aux trains mais ne
veut pas visiter une usine de locomotives...
Une Française qui s'intéresse à l'Art mais ne veut pas trop aller
dans les musées...
Les 10 autres sont suisses, " normaux " comme dirait Coluche. Tant mieux
que les deux premiers ne le soient pas !.
On a ensuite parlé des cadeaux. Qu' apporter à nos hôtes
chinois ? Des cartes postales, des montres, des images de Suisse ?
Attention, il y a peu de places pour afficher des images dans les
petits appartements chinois souligne Viviane, notre accompagnatrice.
On s'est finalement mis d'accord pour emporter des timbres...
qu'ils pourront placarder comme posters.
Mardi 11 juin 1985
Les Russes ont réquisitionné nos billets; plus possible de faire le
voyage en transsibérien, mais... je garde bon espoir.
Mardi 18 juin 1985
Téléphone de Viviane; le voyage prévu est tout de même possible.
Lundi 08 juillet 1985
Jour " J " avec un grand "J "comme "Départ". A Cointrin, L. Lagrange
est habillé en explorateur du XIXème avec ses pantalons blancs, sa
barbe, sa ...calvitie, ses lunettes et son air distrait pour faire plus
vrai. Son casque colonial doit être dans sa valise s'il n'a pas oublié
d'en prendre un ! Dans l'avion il criait déjà comme le Capitaine Haddock
" Mon Dieu, mon Dieu, mon whisky, j'ai failli oublier mon whisky ..."
( Interdiction des boissons alcoolisées dans le transsibérien à cette
époque ...)
A Moscou, Marius Borsch n'a jamais vu ça dans aucun pays ! Il a
fallu attendre non pas 5h ni 2h ni 1h mais une demi-heure à la
douane, ce qui somme toute n'est pas si terrible, mais les préjugés sur
les attentes aux guichets russes sont tenaces. Le bus jaune qui nous a
amenés à l'hôtel ferait sans doute des envieux en Europe occidentale
...parmi les conservateurs de musées. Une photo ne suffirait pas, car il y
avait le bruit de métal de la carrosserie dont les éléments tenaient
ensemble uniquement parce que toute velléité de se détacher du groupe
est réprimée en URSS.
Mardi 09 juillet 1985
Moscou/Transsibérien : départ.

Moscou comme dans toute l'URSS ( ici CCCP ), il n'y a pas de
chômage. Les candidats au chômage sont portiers de W.C., sommeliers dans
un self-service ou surveillants de trottoirs; ( il s'agit de siffler
énergiquement lorsqu'un touriste met le pied sur la route en dehors des
lignes jaunes qui, ici, sont blanches...)
Partout une seule odeur unique comme le Parti: l'essence.
Les gens, eux, poussent la même tête que vous quand on vient de
vous annoncer que vous avez manqué le gros lot pour un seul numéro. Dans
les magasins, les clients se font plus pressants que les vendeurs qui, eux, sont moins nombreux que les surveillants.(voir chômage ci-dessus ).
Viviane, c'est notre accompagnatrice: on lui a certainement
dit qu'un guide doit être de bonne humeur. Alors elle rit tout le
temps...même quand on nous a fait payer trois fois l'entrée dans les
basiliques du Kremlin.

Lucien, l'explorateur du XIXème, se perd souvent. Lui, il ne voit pas
la chose de la même façon, il dit que c'est le reste du groupe qui s'est
perdu...
Mercredi 10 juillet 1985
Transsibérien :1er jour ( Oural )

Notre compartiment 1ère classe a un confort comparable à des
couchettes suisses en 2ème classe. Le personnel est chinois et souriant
et ( mais ) la cuisine est russe . A midi on a eu une gamelle de borsch
(sorte de soupe à la betterave rouge).
J'avais vu juste:Lucien est bien explorateur. Il m'a parlé de sa
dernière mission de 22 mois en tant que scientifique dans l'Antarctique.
Viviane rit toujours ! Même en voyant le borsch, pourtant il n'y a pas
de quoi rire !
Jeudi 11 juillet 1985
On a vu du lilas en fleurs. La Sibérie, c'est une véritable Brévine
russe, tout éclot plus tard qu'ailleurs !
Le paysage est monotone, forêts d'érables, plaines, bouleaux. Dans
le train, tout devient couleur charbon. Il commence à faire chaud et ça
fait mal à la tête. La nourriture est lourde: concombres, tomates,
crème. Le personnel russe ne sourit jamais. Les compartiments sont
petits, pas très pratiques; ça secoue autant que dans une vieille
carriole
Il paraît que l'on va devoir se lever deux nuits de suite pour passer
les douanes mongole et chinoise. Tout le monde garde le moral.
Viviane elle continue à rire...Mon "Yin" est abattu, mais mon
"Yang" ne regrette pas d'être parti. En roulant vers l' Est, chaque jour
on perd 1 à 2 kg et 1 à 2 heures... Il est 22h ici
( plein jour ) et 16h en Suisse.

Vendredi 12 juillet 1985
Transsibérien 2ème jour ( plateau de Sibérie
centrale )
On continue à perdre nos heures et nos kg...On imagine des tartes,
de la vodka
(totalement supprimée en URSS), des ristrettis, du saumon
fumé, des légumes sans crème, on rêve...
Quant au paysage, c'est l'événement : une colline a été vue à
l'horizon. Il devient vallonné à partir de Krasnoyarsk.
Si l'on nous servait des concombres et des tomates avec de la crème
au fin fond de l'Amazonie, il serait possible d'obtenir des concombres,
des tomates SANS crème... En URSS niet, c'est exclu.
Samedi 13 juillet 1985
Transsibérien 4ème jour ( Lac Baïkal-Irkutsk

Aujourd'hui à midi, on a eu des concombres et des tomates à la
crème tandis qu'hier on avait eu des tomates et des concombres à la
crème...
On vient de passer le lac Baïkal, c'est le lac le plus profond du
monde ( 1646 mètres ). Comme on était en surface, on n'aurait rien
remarqué si on ne nous l'avait pas dit !
Depuis Moscou, il y a évidemment plusieurs personnes inconnues au
fur et à mesure des jours qui s'écoulent en semant des heures le long du
parcours. Une Finlandaise, avec des yeux turquoise et de jolies nattes,
attire très vite l'attention. Curieusement Lucien n'était pas distrait
pour une fois. Elle serait assez belle si elle n'était pas si laide. Sa
peau est d'un blanc laiteux et ses pauvres bourrelets se frayent
péniblement un passage à chaque endroit possible. Ils dégorgent sous son
short, s'échappent de sa chemise, dégoulinent de son cou. Pour couronner
le tout ( ce qui n'est pas une mince affaire ), elle se prend pour une
star et se fait regarder sous toutes ses coutures .
Dans le wagon, le peu de place qui reste est à la disposition des
autres passagers, entre autre un charmant petit groupe de 11 personnes
sympathiques, agréables, faciles à vivre et modestes.
La plus dynamique, c'est Hélène, la Française, une grand-mère de
soixante ans, qui en parait vingt. Elle est suivie de près par
l'explorateur belge qui cherche désespérément de la vodka mais doit pour
l'instant se contenter du cognac et du whisky qu'il a eu la précaution
de mettre dans ses bagages.
Deux dames: Trudy et Suzanne voudraient nous faire chanter " Mon
beau chalet " en suisse allemand mais comme les participants sont,
soit suisses romands, soit ne possèdent pas de chalet, même laid, leurs
démarches ne rencontrent heureusement pas trop d'échos dans le groupe.
Viviane, elle, rit toujours...Les yeux de Françoise sont toujours aussi
bleus,
L'explorateur, lui, a trouvé ce qu'il cherchait...deux jolies
suédoises dont les yeux etc,etc mériteraient une exploration approfondie
:mais comment choisir !!!
Quant aux soeurs Pittet, puisqu'Isabelle est infirmière, c'est
Corinne l'institutrice...à moins que ce ne soit l'inverse. Marius prend
des photos et finit nos restes... Simone Lagrange l'épouse de
l'explorateur belge, nous épie, elle est psychologue dans le civil...
Dimanche 14 juillet 1985
Transsibérien 5ème jour ( Mongolie )

Désert de Gobi, caravanes de chameaux, campements de nomades; c'est
la steppe de Mongolie, après 5800 km de train, suivi d'une fouille en
règle à la douane soviétique entre 22h et 04 h du matin. Tout y est
passé. Les Russes n'aiment pas les revues d'opinions... ou plutôt
désirent les conserver puisque les douaniers en ont les prérogatives.
ENFIN on gagne le droit d'entrer. A Ulaan-Baator
( capitale de la république de Mongolie Extérieure, comme chacun sait ! et
anciennement Ourga ), on a
pu se rendre compte que les Mongols sont aimables, qu'un Mongol de
mauvaise humeur, est plus souriant qu'un Russe qui viendrait d'obtenir
une faveur inespérée.
Partout, il y a des jeux pour les enfants et de mignons petits Mongols..

Malheureusement, depuis notre compartiment, on en est réduit à les
observer comme au zoo...(comme il passe un seul train par semaine pour la
Chine, la curiosité est réciproque, d'autant plus que dans notre wagon,
il y a un Suédois qui ressemble à un singe mais en plus gros et en
beaucoup plus con. Un de plus qui pourra dire qu'il " a fait" la
Mongolie.
Les rails sur lesquels roule le Transsibérien, eh bien, c'est le Papa de
l'explorateur belge qui a supervisé la construction, au début des années 1900;
Il travaillait "à la ligne" pour
le compte du groupe "
Empain ".
A l'époque, chose gênante, les Mongols démontaient les rails à peine
posés ainsi que les traverses pour les revendre...
Le tronçon a été reconstruit plusieurs fois. Apparemment, la quatrième
fois fut la bonne.
Aujourd'hui, à travers les sables du désert mongolien, l'interminable
ruban d'acier relie l'URSS à la Chine, pour employer les véritables
mots d'un guide de voyage. Dans le wagon -restaurant qui, maintenant est
mongol, on peut acheter des pantoufles fourrées pour le prix d'une carte
postale, cette dernière étant très chère.
Le chocolat anglais est aussi bon que le suisse. On paie en dollars et
on nous rend en pfennigs, en couronnes ou en chewing-gum !
Lundi 15 juillet 1985
Transsibérien 6ème jour ( Datong )

Il est 0h30, nous approchons de la frontière chinoise. chose
exceptionnelle, nous vivons dans le futur...qui est demain
Ca y est, la fanfare chinoise nous accueille à la douane d'
Erlian dont la magnifique gare est illuminée pour la
circonstance ( un train par semaine depuis l'URSS.)
Le train disparaît ensuite dans un hangar pour permettre aux ouvriers
chinois de diminuer l'écartement des roues. Les rails correspondent à
nouveau aux normes européennes
(héritage du colonialisme). Ce travail est effectué avec une
efficacité sidérante. Les wagons sans les bogies ( essieux et roues )
sont soulevés, les bogies sont transférés de côté à l'aide de grues et
remplacés par les bogies adéquats, le tout en moins d'une heure grâce à
une synchronisation remarquable.
Lucien, l'explorateur distrait, aurait passé sous la locomotive si l'on
ne l'avait pas retenu lorsqu'il s'est avisé d'aller mesurer l'écartement
des voies en oubliant que des trains traversent parfois les gares... On
l'imaginait sortant de sous la locomotive couvert de cambouis, sa pipe
entre les dents, ses lunettes de traver, clamant avec une mine triomphante
de Professeur Tournesol : 1mètre 53...!
Il m'a expliqué ensuite, la manière dont il avait une fois construit un
télescope, nous a donné les noms des étoiles que l'on voit dans le ciel
chinois.
Puis, nous sommes allés nous reposer 4 heures avant notre 1ère étape
chinoise : Datong.
Sur le quai à Datong, un sympathique petit Chinois nous attendait.
Tournesol lui est presque rentré dedans, a réajusté ses lunettes et
lui a dit : "Bonjour, Monsieur, vous êtes touriste?" Il a oublié le sac de
son " lapin " ( son épouse ) dans le bus. Comme " Lapin" s'y attendait,
elle a récupéré le sac et tout est rentré dans l'ordre.
Au bout d'une semaine de transsibérien avec les mêmes draps, le même
linge et dans lequel on retournait les nappes au lieu de les changer,
notre hôtel luxueux de Datong fait figure de palais des mille et une
nuits câlines de Chine.
Après une douche, au débit comparable à celui de la vessie d'un petit
oiseau qui n'a pas eu soif, un repas bien mérité nous attendait.
Individuellement, chaque plat, du concombre au poisson en passant par
les cacahuètes et les oeufs semblaient garnis pour satisfaire l'appétit
d'une poupée Barbie, mais, je dois dire que tous ensemble, ils
composèrent une jolie brochette.
Isabelle, après avoir stoïquement supporté pendant 6 jours, l'inconfort
du transsibérien pleurait presque car elle n'arrivait pas à manger avec
des baguettes. Comme c'était la seule, elle se posait sérieusement la
question de confiance : suis-je tarée ? Hélène l'a rassurée en lui
disant qu'elle n'était pas la seule, qu'elle connaissait une dame qui avait
maigri de 4 kg lors de la première semaine de son séjour. Isabelle a
fini par prendre son mal en patience et... une cuillère à soupe.
Tournesol, qui s'était égaré dans le hall, est finalement parvenu à
nous rejoindre. Il a choqué " Lapin " en parlant à table de la couleur
de l'eau de son bain puis il a tendu le plat de nouilles en me demandant
si je voulais encore des pepperonis...
Mardi 16 juillet 1985
Datong ( première étape en Chine )

On a visité des grottes bouddhiques, des monastères, une fabrique de
locomotives et un jardin d'enfants modèle.

On circulait dans un minibus au milieu des vélos, charrettes et camions
de charbon. Une chos, cependant, reste obscure. Je n'ai toujours pas
compris si l'on roule à gauche ou à droite en Chine et à quoi servent
les doubles lignes blanches dites de sécurité.
L'hôtel était encore en chantier. Pendant que le rez-de-chaussée
était aménagé, les étages se détérioraient déjà. La cuisine est
excellente. Il y a la télévision dans chaque chambre mais de nombreuses
pannes d'électricité ! L'ascenseur a un tableau de bord sophistiqué
avec mémorisation des étage, commandé par une " liftière " mais elle s'arrête
où elle veut et quand elle veut...
Dans le hall d'entrée, le sol était recouvert par de magnifiques dalles
de marbre très pratiques à nettoyer mais des ouvriers s'apprêtaient
à poser une moquette rouge très salissante ! Ils collaient celle-ci sans
que le sol eut été nettoyé au préalable...
Mercredi 17 juillet 1985
Datong/Taiyuan ( province du Shanxi )
A 6h 30 nous avons voulu déjeuner,
L'ascenseur était évidemment en panne. Nous n'avions même pas la
possibilité de descendre les sept étages par l'escalier de secours, la
porte étant fermée à clé ! Après 10 minutes,nous avons pu trouver le
portier d'étage mais il n'avait pas la clé. Il a réveillé un collègue,
mais il n'avait pas la clé ! Ils ont voulu téléphoner à la réception
mais le téléphone n'était pas branché ! Ils ont essayé de trouver la clé
du téléphone, sans succès.
Notre guide locale, qui s'inquiétait, a fini par monter les sept étages à
pied. Elle est arrivée devant la porte mais elle n'avait pas la clé. Le
troisième garçon d'étage a été réveillé mais il n'avait pas la clé. On a
trouvé par contre la clé d'un placard mais ce n'était pas le bon.
Finalement, le préposé a mis la main sur une clé qui ouvrait un placard
dans lequel il y avait une clé pour ouvrir un tiroir dans lequel il y
avait là, la clé de la porte de secours. Alors, nous avons pu aller
déjeuner...
Il n'y a pas eu d'incendie, les conséquences de ces 25 minutes de
palabres et recherches ne furent pas trop pénibles. L'hôtel ouvre à 7 h
et il continuera à ouvrir à 7 h, alors une autre fois...
Heureusement, qu'on s'était dépêchés pour arriver à l'heure à la gare
sinon on n'aurait pu attendre deux heures dans la salle d'attente.
Après une nouvelle demi-heure de patience dans le train, la locomotive
est enfin partie... mais elle a oublié les wagons !
Au premier tournant, le conducteur a du s'en rendre compte puisqu'il est
revenu nous chercher.
A Taiyuan, on est juste arrivés à l'hôtel avant que la distribution d'eau
ne fonctionne plus.
Jeudi 18 juillet 1985
Taiyuan
Un des grands problèmes, lors de notre voyage en Chine, c'est que
l'agence de tourisme
( Luxingshe ), veut imposer des visites
obligatoires. A côté des monastères et des temples historiques, il
s'agit souvent d'entreprises, de stations hydro-électriques, de
fabriques d'objets...à acheter par les touristes. Ce matin, on a eu
l'honneur ou la malchance, de visiter une prison. Le gouvernement tient
à soigner son image de marque auprès de reste du monde, aussi avons-nous
été conduits dans une prison modèle. Les détenus travaillent dans des
ateliers de cordonnerie, de couture, ou de cuisine, la journée et
dorment la nuit dans des cellules comprenant 9 matelas. On nous a montré
un cabinet de dentiste impeccablement propre. A y regarder de plus près,
le coton hydrophile " stérile " était crasseux au fond d'un petit bocal,
si petit qu'il était à peine visible sur le coin d'une console. Il avait
dû échapper au grand nettoyage ! Les Chinois sont si larges avec leurs
prisonniers que les musulmans, qui sont, parait-il une vingtaine, ont
même la possibilité de manger une cuisine particulière en harmonie avec
leurs croyances. En fin de parcours, un spectacle produit par les
détenus nous fut présenté : musique, danses avec des hommes, ...des
hommes déguisés en femmes, puis chants pour terminer. S'ils chantèrent
en allemand l'hymne à la Joie de Beethoven d'une voix si traînante, ce
fut certainement parce qu'ils étaient fatigués d'avoir joué 3/4 d'heure
devant nous, et en aucun cas, parce qu'ils étaient mélancoliques,
puisqu'ils avaient pu choisir librement de monter ce spectacle.
La prison est sévèrement gardée: barbelés, fils électriques, murs,
portes blindées à l'entrée. Tout à l'air d'être sous contrôle, à un
détail près: ils ne savent pas combien il y a de prisonniers ! A
cette question les réponses des gardiens qui nous accompagnaient furent
:
-- On ne sait pas très bien
-- Mais environ ?
-- Oh, vous savez, il y en a qui sortent, qui entrent, ça change
souvent.
-- Mais vous avez tout de même une idée ?
-- Essayez de demander à la personne...là bas.
C'est lors de la discussion qui suivit, qu'il nous fut répondu : "
environ mille " . On en avait vu à peu près deux cents.
Les autres étaient sans doute occupés aux champs ou dans d'autres
ateliers tout aussi agréables. Plusieurs questions furent posées aux
gardiens :
-- Quel est l'âge moyen des détenus ? Environ 30 ans.
-- Quelle est la moyenne des peines qu'ils doivent subir ? 10 ans .
-- Y a- t-il des détenus politiques ? Il n'y a pas de détenus
politique en Chine !
Ah bon...il ne faut jamais croire tout ce que l'on écrit... dans les
journaux occidentaux.
La questions fut alors précisée :
-- Mais si quelqu'un n'est pas d'accord avec le gouvernement ?
-- Ce ne sont pas des détenus politiques.
-- Y a t-il ici des personnes qualifiées de " droitiers " d'avant la
révolution ? Pas ici.
Pas ici, donc ailleurs, mais oui... donc ailleurs.
-- Comment appelez-vous ces personnes détenues ailleurs ? Des contre-révolutionnaires.
Tiens tiens, nous nous étions sans doute mal compris uniquement à cause
de l'obstacle de la langue.
-- Y a t-il des contre-révolutionnaires ici ? Oui il y en a.
-- Pour quelles raisons sont-ils détenus ? Un ange
passe...Uniquement s'ils ont commis des fautes graves.
--Quelles fautes graves ? Des actes très graves allant à
l'encontre des intérêts du peuple chinois.
-- Ces actes très graves peuvent-ils être, par exemple, la distribution de
tracts ? Oui, cela peut être ça.
-- Y a t-il des exécutions dans cette prison ? Pas
dans cette prison.
-- Un détenu, gagne t-il de l'argent ? Il y a la nourriture
et le logement fournis. A la sortie, ils ont un travail assuré dans une
brigade locale.
-- Peuvent-ils recevoir des membres de leur famille ?
Une fois par mois.
--Des amis ? Avec l'accord de la Direction.
-- Comment se passe une journée de prisonnier ? Lever à 6h30,
travail jusqu'à 16h00 puis temps libre jusqu'à 21h30, à part les repas.
Il est sous-entendu que tous les détenus, même ceux qui travaillent,
objectivement, c'est-à -dire aux yeux des gardiens, lentement, bénéficient
de ce régime si peu contraignant, avec TV, cinéma ou spectacle le soir.
-- Les détenus " contre-révolutionnaires " sont-ils avec les détenus de
"droit commun " ? Oui
Un succulent repas nous fut ensuite servi, les plats épicés ou
aigre-doux laissaient un arrière-goût amer..
Nous eûmes aussi l'honneur de signer le livre d'or de la maison "
Merci
pour tout, nous sommes impressionnés par la manière dont vous traitez
les prisonniers, l'accueil fut très chaleureux..."
En chinois, le "non " n'existe pas. Si l'on ne veut pas dire qu'un hôtel
est mal tenu par exemple, on pourrait dire que le cadre est très
beau...ce qui n'est pas dit, se charge de signification. On ne parle pas
de la révolution chinoise mais de la Libération de 1949. Simone Lagrange
a eu cette phrase:
" Une personne n'est pas un criminel, mais elle a peut-être commis un
crime à un moment de sa vie."
*********
Suite Chap.2