Prix Ella Maillart Notre compatriote Yannick Van der Schueren a obtenu le Prix Ella
Maillart. Bart Ouvry, Consul général de Belgique à Genève.
Rencontre avec une Belge en Suisse menant un parcours hors du commun. Un mercredi de novembre, en route pour une rencontre dans un bistrot dans la Veille Ville avec Yannick Van der Schueren journaliste belge établie à Genève Notre compatriote a obtenu au mois de septembre dernier le prix ‘Ella Maillart’ – une récompense pour jeunes journalistes ayant couvert des zones à risques. Une belle lumière limpide sur le Lac Léman et le Mont Blanc brille en toute sa splendeur - le métier de diplomate est parfois agréable, avouons le – et à 12 heures 30 pile mon invitée est déjà là. La ponctualité est la politesse des rois mais aussi des genevois. Un retour en arrière quand-même. Dans les années ’50 André Van der Schueren participait à une expédition belge en Antarctique. A son retour les opportunités sont nombreuses mais l’aventure de la recherche des particules infiniment petites le tente. Fondé en 1954, le CERN est à ce moment là, l’une des plus importantes entreprises européennes. La famille Van der Schueren trouve un toit à Meyrin, entre la ville de Genève, son aéroport international et la belle campagne du Pays de Gex français. Yannick Van der Schueren se définit comme une Belge suisse – plutôt qu’une Suisse belge. Elle a la double nationalité belge et suisse mais l’intégration dans la société suisse est un projet à organiser sur plusieurs générations. Son parcours personnel n’est pas un long fleuve tranquille. Ses premiers pas dans le journalisme ne se font pas sans incidents. Elle subit trois procès en un an suite à des manipulations par une rédaction à la recherche du spectaculaire et de l’incident. Cette expérience amère la décide à changer de parcours et à étudier le dessin et la mode à Paris. De retour à Genève, Yannick se lance dans le monde de la communication et fonde sa société pour après quelques années revenir quand-même à sa vocation première, le journalisme. Elle choisit le parcours le moins facile et se lance comme reporter international indépendant. Commence alors un périple dans des zones chaudes. Sa première cible est la Tchétchénie – pourquoi ? : ‘Simplement, parce que les choses se passent là.’ Elle voyage souvent sous son passeport suisse – avant tout parce que l’ancien modèle était utile par sa couverture qui portait la croix blanche du drapeau suisse. La ressemblance avec l’emblème de la Croix Rouge Internationale n’est pas un hasard, c’est bien le drapeau suisse – mais en inversant les couleurs. Pas mal d’interlocuteurs dans les zones de conflit font l’amalgame entre le passeport suisse et un document de passage conférant l’immunité. Souvent Yannick utilise aussi son passeport belge : ‘on évite l’effet coffre fort dans les zones où l’industrie de l’enlèvement sévit’ – les suisses étant souvent considérés comme des gens fortunés. C’est le revers de la médaille d’une réussite de l’industrie des montres et de la banque privée helvétiques. Les deux passeports sont un atout parce qu’ils permettent aussi de jongler les visas entre différents pays incompatibles. Yannick Van der Schueren entame un périple dans les zones où ça chauffe : Afghanistan, Liban, Irak, Soudan. Son profil de jolie jeune femme européenne lui vaut de passer plus souvent que d’autres entre les mailles du filet de sécurité. Des moudjahidines Afghans, facilement méfiants vis-à-vis des hommes, lui proposent des gardes du corps et semblent véritablement inquiets de son bien-être. Son approche est pourtant tout autre : loin des contacts officiels elle essaie de s’intégrer dans la population, loge peu dans les grands hôtels internationaux, cherche l’hospitalité et donc la protection des habitants. Depuis 9/11 les zones chaudes se trouvent forcément dans le monde musulman. Son statut de femme y est un avantage et lui donne accès à deux mondes : le monde des hommes est ouvert à cette femme occidentale mais aussi celui beaucoup plus fermé des femmes. En Irak Yannick loge deux semaines dans une famille locale. Son but n’est pas de rapporter les évènements mais de témoigner du quotidien et des sentiments de la population. Souvent les enjeux du conflit sont tellement étrangers à monsieur ou madame tout le monde – son séjour en Irak lui a permis de comprendre combien les Chiites et Sunnites se mêlent dans la société par des amitiés, des mariages et comprennent mal les causes d’une violence qu’ils subissent de jour en jour. C’est cet engagement pour comprendre le sort des civils dans les zones de conflit qui a été récompensé par le prix de reportage Ella Maillart – un prix créé pour encourager des journalistes ayant couvert des régions à risques pour les médias écrits de la Suisse Romande. Régions à risques - insécurité ? C’est gérable juge Yannick : elle s’organise en réseau et gère ainsi au mieux les dangers. Ses reportages internationaux deviennent pourtant de plus en plus difficiles à réaliser : cela coûte cher et les rédactions n’acceptent tout simplement plus le risque de couvrir un journaliste dans ces zones à haut risque d’enlèvement. La presse écrite, en Suisse comme ailleurs, voit ses ventes et ses revenus publicitaires se réduire comme peau de chagrin. Souvent notre compatriote parvient à financer ses reportages en travaillant en parallèle pour des ONG’s, mais de tels arrangements sont loin d’être idéaux. Depuis fin 2005 Yannick Van der Schueren ne s’est plus rendue en Irak. Elle le regrette amèrement. Finalement, en zone de guerre on vit intensément le moment – est-ce que l’on sera encore en vie le soir ? Au cours de notre déjeuner, nous en venons inévitablement à discuter de la situation politique en Belgique. Yannick ne couvre pas les péripéties belges pour la Tribune de Genève mais est souvent consultée comme ‘experte’ du pays. Elle avoue pourtant ne pas comprendre grand chose à la situation actuelle et s’enquiert de la signification du mot ‘fransquillon’. Suit une énième explication de la question linguistique en Belgique et le conseil de ne pas utiliser ce terme assez péjoratif. Le refus du bilinguisme, vu de Genève, est difficile à comprendre. La vie politique belge lui semble souvent ubuesque. Pourtant cette ‘Belgique politique qui sort du lot’ ne lui déplait pas non plus. La capacité d’autodérision et l’ouverture des belges face au monde extérieur est une autre caractéristique qui lui est plus sympathique que le chauvinisme suisse ou français. La richesse artistique de Bruxelles contraste avec l’aspect bien rangé de Genève et attire pas mal de jeunes genevois de la génération de Yannick. L’atmosphère de Bruxelles lui est plus familière que le Genève Calviniste de banquiers et diplomates où Yannick restera très longtemps encore une migrante. La vie politique suisse reste par ailleurs aussi peu lisible que les négociations en Belgique – la tradition du consensus suisse est peu alléchante d’un point de vue journalistique. Même si Yannick se réjouit du fait ‘que ce consensus évite à la droite populiste suisse de Blocher d’imposer sans entrave sa politique xénophobe’. 14h45 – on n’a pas vu le temps passer. Reste à régler une note bien belgo-suisse : deux salades vertes en entrée, deux steaks frites, deux verres de gamay de Genève et quatre expressos.
( lettre du Consulat belge à Genève - 12-07 )
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