Alain Hubert: "J’ai tourné la page"
Le Soir 20 septembre 2017 Michel de Muelenare
Le patron de la Fondation polaire internationale se trouve en
pleine préparation de la prochaine saison à la station princesse
Elisabeth en Antarctique. La collaboration avec l’Etat belge est de
nouveau harmonieuse.
Après deux années chaotiques, marquée par des actions en justice à
répétition, la « paix » a été signée en juin dernier entre l’Etat belge
et la Fondation polaire internationale (IPF) que préside Alain Hubert. A
l’Etat la
propriété pleine et entière de la station
princesse Elisabeth qui fête ses dix ans cette année. A
l’IPF une concession de cinq ans
(avec option pour 3 ans supplémentaires) et un budget de 3,154 millions
pour faire tourner la base en Antarctique. L’IPF reçoit une
« compensation » de 4,5 millions d’euros et il est mis fin aux actions
en justice. Les véhicules (tracteurs, grues, etc.) restent la propriété
de l’IPF.
« J’ai tourné la page,
dit aujourd’hui Alain Hubert. Je ne suis pas rancunier. J’ai sans
doute été trop naïf. Mais l’Etat de droit a gagné. La fondation polaire
a vu son intégrité totalement rétablie par le conseil d’Etat qui a
annulé toutes les actions entreprises par l’Etat ».
Quelle est l’ambiance aujourd’hui ?
La collaboration est parfaite avec le cabinet de Zuhal Demir [N-VA,
secrétaire d’Etat à la politique scientifique, NDLR]. Ça se passe très
bien, nous tenons des réunions régulières. L’Etat est responsable des
investissements, l’IPF est opérateur. Nous ne sommes plus
propriétaires de la station, nous disposons d’une concession. Des
garde-fous ont été mis en place. Ce sont des bons accords, réalistes et
pragmatiques. Nous travaillons désormais avec un partenaire qui est plus
conscient, plus motivé et qui comprend les avantages mutuels d’un
partenariat public-privé.
Qu’est-ce qui a changé ? Pas grand-chose. Tous les contrôles sont faits,
sous la responsabilité d’un réviseur d’entreprises indépendant. Tout se
passe bien… Nous sommes concentrés sur le futur. Et je suis heureux que
la réputation de la Belgique à l’étranger remonte un peu. Nous disposons
d’un budget de 3,154 millions pour les opérations, pas pour les
investissements. Nous travaillons à prix coûtant sans faire aucun
bénéfice et je m’engage personnellement à assurer tous les dépassements.
On travaille en parfaite transparence ; nous sommes sur la même longueur
d’onde. Il y a eu précédemment des soucis de gestion
de l’énergie, des pertes de contrôle de la station. Où en est-on
actuellement ? Nous avons le contrôle de la station, les photos
arrivent. Sur tout l’hiver, les générateurs ont marché trois fois
quelques heures. Allez-vous continuer à travailler sur la piste
d’atterrissage qui se trouve sur la glace à quelques dizaines de
kilomètres de la station belge ? C’était un projet de la compagnie [d’aviation
russe, NDLR] Alci. On a essayé d’utiliser cela contre nous. Mais les
travaux que nous avons réalisés là-bas l’ont été en toute transparence.
Il n’y a pas de bâtiment en construction. Après l’hiver, il faut
préparer une piste pareille pour la rouvrir. S’il entre dans les
intentions d’Alci de la rouvrir, pour des raisons de sécurité et de
logistique, on va sans doute nous demander de le faire. Jusqu’à présent,
nous n’avons eu aucune demande mais nous sommes en contact. A l’avenir, c’est une association
internationale sans but lucratif qui aura la responsabilité de la
station. Où en est-on ? Je l’ignore. Nous ne sommes pas dans le conseil
d’administration, l’IPF aura une voix consultative. L’opérateur
présente, explique, suggère. Les décisions sont prises, puis on
travaille. C’est la raison pour laquelle le rôle du conseil
d’administration de la future AISBL sera beaucoup plus important que
l’actuel secrétariat polaire. La question de savoir qui sera membre de
ce conseil est donc très importante. Cela ne peut pas être des
fonctionnaires. Cela ne va jamais marcher. Mais pour l’instant, nous
n’avons que des contacts pratiques liés à la saison qui démarre. On n’a
jamais démarré une saison de cette envergure au mois de juillet. En
plus, je n’ai plus personne à la fondation. Nous avons dû licencier tout
le monde. Heureusement, nous avons dix années d’expérience. Avez-vous des contacts avec l’administration ?
Non. On ne sait pas ce qui s’y passe. Et nous
n’avons jamais eu rien à dire sur ce qui se passait à la politique
scientifique. Nous ne sommes pas impliqués dans le financement de la
recherche. En revanche, nous avons des contacts avec les centres de
recherche, les universités. Vous avez en revanche des contacts avec
l’administration de l’Environnement. Et vous êtes préoccupés par une
nouvelle loi, votée en juillet, qui étend le droit belge à aux biens
utilisés dans le cadre d’activités menées sous permis délivré par le
gouvernement belge. Elle prévoit des sanctions pénales et
administratives en cas de non-respect du permis d’environnement…
Cette nouvelle loi est inapplicable. Elle dépasse
les dispositions du traité de l’Antarctique. Par ce texte qui invite à
la délation, la Belgique étend toute sa juridiction sur l’Antarctique,
un territoire qui ne lui appartient pas. C’est un vrai problème.
Personne n’y comprend rien. Ce texte prévoit que tout acte qui n’a pas
été très précisément décrit dans le permis d’environnement sera
considéré comme illégal s’il n’y a pas un nouveau permis. Dans ces
conditions, en tant que responsable des expéditions belges à la station,
je ne prendrai pas la responsabilité environnementale. C’est le
directeur du secrétariat polaire, le chef de cabinet de la secrétaire
d’Etat Zuhal Demir, qui le fera. Le texte prévoit l’enregistrement des
véhicules comme s’ils étaient en Belgique : bientôt, on va devoir leur
mettre des plaques et payer une taxe ! Cela n’a aucun sens. Il semble
qu’il y a eu un problème de dialogue entre les cabinets ministériels.
La saison dernière a fait l’objet d’un rapport
d’inspection qui pointait des problèmes techniques dans la station :
problème du réseau électrique, problèmes de structure des bâtiments, de
gestion des déchets, de sécurité… Je ne l’ai jamais eu. Il n’a jamais été accepté
par le cabinet. C’était rédigé à charge, complètement surréaliste. Il
n’y a aucun problème. Mais pour nous c’est le passé. Où en est votre projet « Andromeda » de
construction d’une nouvelle station polaire ? Cela fait partie de nos projets, notamment en
dehors de la Belgique. Je travaille dans six pays différents, en
Arctique comme en Antarctique. C’est notre vocation d’avoir des projets
comme celui-là, d’être un aiguillon. Tous les pays qui disposent d’une
base en Antarctique se posent la question de son avenir ; beaucoup de
stations sont au bout du rouleau. Aujourd’hui, on ne construit plus
comme avant ; il faut étudier une nouvelle génération de stations avec
de nouvelles solutions notamment pour les problèmes d’énergie et
d’environnement. On nous demande un projet pour la Nouvelle-Zélande,
pour le Brésil. Cela continue à nous intéresser. Cette nouvelle station
est un de nos projets de recherche et développement, mais il n’y a aucun
axe concret.
Vous aviez, un moment, évoqué l’idée d’une station permanente, habitée
été comme hiver ?
L’expérience a montré que ce n’est pas nécessaire grâce au système de la station qui permet un contrôle à distance par ordinateur et par satellite. C’est pour cela qu’on s’attache à optimiser le système de rapatriement des données et à essayer de garantir un maximum l’autonomie de la station. Mais il faut être modeste. On n’est jamais à l’abri d’un fusible qui saute. Rien n’est parfait.
Il
y a quelques mois, un collectif de scientifique avait exprimé des
craintes quant à la procédure de sélection des projets, réclamant plus
de transparence. Ces craintes sont-elles apaisées ?
Je
ne les ai jamais très bien comprises. De notre côté, jamais eu de
problème. Les projets sont évalués par le conseil stratégique du
secrétariat polaire. Ils le seront demain par le conseil
d’administration de l’AISBL. Actuellement, les choses se passent bien.
Il reste un mois avant le jour J pour la prochaine mission belge
en Antarctique. Derniers conteneurs, ultimes réglages. Les premiers
membres de l’équipe partiront de Belgique le 20 octobre. Fin de partie
le 3 mars. « La saison s’annonce chargée,
explique Alain Hubert, jamais nous n’avons eu autant
de monde à la station ». Outre les 29 techniciens,
26 scientifiques sont attendus pour 15 projets de recherche. Des
chercheurs belges venant de l’ULB, de la VUB, de l’Université de Gand,
de l’IRM, du centre nucléaire de Mol… Et 9 étrangers : des Suisses, des
Luxembourgeois, une Canadienne… Soit, en permanence, 25-30 personnes à
la station. A part une équipe de l’ULB qui va réaliser deux forages à
150 mètres de profondeur près de la côte, la plupart des équipes
travailleront dans un rayon de 30 à 70 km de la station. La base fera
par ailleurs l’objet de nombreux travaux, suivant un plan stratégique
qui s’étalera encore sur quatre ans. « Quand on a
construit la station, on voulait faire une petite installation. Mais on
s’est aperçu que la demande scientifique excédait cette offre. En
2007-2008, on a donc décidé de construire des bâtiments provisoires
posés sur la glace. Mais celle-ci descend d’environ 8 cm vers le bas et
glisse de 8 cm ». Le nouveau bâtiment sera fixé
dans le roc et posé sur douze poteaux munis de vérins automatiques pour
remettre le bâtiment à niveau. « Dans quelques
années, l’ensemble de la base sera pérenne, promet
Hubert. Notre volonté a toujours été de laisser aux
générations futures une station qui ne devra pas être reconstruite tous
les 10-15 ans ». Le nouveau bâtiment contiendra les
garages, les ateliers, du stockage, les congélateurs, traitement de
l’eau, etc. Et des chambres à l’étage. Après les travaux, la capacité
totale de la station sera de 44 lits, contre 48 aujourd’hui. Il faudra
terminer en une saison. « Nous disposons d’un mois
pour construire et fermer ». Les aménagements
seront progressivement réalisés ensuite. Il faudra aussi effectuer la
maintenance des éoliennes et des panneaux solaires, réparer des
véhicules qui ne sont plus en état de fonctionner et réaliser un upgrade
important des systèmes de gestion automatique. Et l’an prochain
simplifier le système de traitement des eaux.
L’explorateur polaire, chef d’entreprise, guide de haute montagne,
patron de la fondation polaire internationale vient de fêter ses 64 ans.
Alain Hubert reconnaît que « personne n’est indispensable ». Il dit
s’employer à assurer la relève à la fondation polaire tout en se
souciant de la pérennité de la base belge en Antarctique. Pas rancunier,
mais le caractère tranché de ce fonceur acharné de travail ne lui a pas
attiré que des amis.
Mis
en ligne le 20/09/2017 à 09:56 | mis à jour le 20/09/2017 à 10:54
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