RESSOURCES DE L'ANTARCTIQUE CONVOITEES PAR LES RUSSES.
Par Stéphane Foucart
La Russie a annoncé des projets de prospection, qui vont à l’encontre du
traité de l'Antarctique qui sanctuarise le Continent blanc.
La Russie a annoncé des projets de prospection, qui vont à l’encontre du
traité qui sanctuarise le Continent blanc
Les grandes manœuvres ont-elles commencé? La Russie a fait part,
lors de la dernière réunion consultative du Traité sur l’Antarctique,
qui s’est tenue au mois de juin à Buenos Aires, en Argentine, de sa
volonté de lancer des prospections de minerais et d’hydrocarbures sur le
Continent blanc et dans les mers qui le bordent. Le document soumis par
la délégation russe liste les points clés du «développement des
activités de la Fédération de Russie dans l’Antarctique pour l’horizon
2020 et à plus long terme».
S’il a jeté le trouble parmi les délégations des 48 Etats parties au
système du Traité sur l’Antarctique, il ne lui a été fait jusqu’à
présent aucune publicité – les réunions des parties se tenant en
l’absence d’observateurs extérieurs et ne donnant lieu à aucune
communication. Le document russe vient toutefois d’être discrètement mis
en ligne sur le site internet du
secrétariat du traité ).
Les projets de Moscou de mener des «investigations complexes portant sur
les ressources minérales, en hydrocarbures et les autres ressources
naturelles de l’Antarctique […] sur le continent […] et dans les eaux
environnantes» pourraient fragiliser le singulier statut juridique du
sixième continent. De fait, ils entreraient en collision frontale avec
le Protocole de Madrid. Ce texte sanctuarise ce territoire encore
largement vierge, faisant de ce dernier «une réserve naturelle dédiée à
la paix et la science». Aujourd’hui, toute forme de prospection et
d’exploitation minière y est ainsi théoriquement proscrite.
Face aux appétits grandissants pour les matières premières et sur fond
de tensions avec
la Chine, qui pousse de plus en plus fermement ses
pions sur le grand inlandsis, l’ancien président du gouvernement
espagnol Felipe Gonzalez, l’ancien premier ministre australien Robert
Hawke et l’ancien premier ministre français Michel Rocard, ambassadeur
des pôles, ont lancé un appel à relancer la ratification du Protocole de
Madrid. C’est-à-dire à tout mettre en œuvre pour que les retardataires
le ratifient enfin.
Il reste en effet encore 14 Etats parties au traité qui n’ont pas
ratifié le fameux protocole signé en 1991 dans la capitale espagnole et
entré en vigueur sept ans plus tard. Leur ralliement permettrait de
renforcer le poids diplomatique de ce texte, principal volet
environnemental au système de traité.
Cette initiative suffira-t-elle à éviter une ruée vers le sous-sol de
l’Antarctique? Dans la foulée des appétits russes déclarés, un think
tank australien réputé proche du gouvernement, le Lowy Institute for
International Policy, vient de publier un rapport enjoignant aux
autorités australiennes de protéger leurs intérêts nationaux en ouvrant
d’ores et déjà «des discussions avec les Etats dans le même état
d’esprit pour anticiper les questions de souveraineté et de ressources
qui seront revisitées en 2048». C’est en effet à partir de cette date
que le protocole de Madrid pourra être revu par les signataires.
L’Australie – comme la France, la Nouvelle-Zélande, la Norvège, le
Royaume-Uni, le Chili et l’Argentine – est un Etat partie dit
«possessionné»: il a des revendications territoriales sur le Continent
blanc, celles-ci étant gelées par le traité. C’est l’une des étrangetés
de ce régime juridique. Les prétentions territoriales des sept Etats
«possessionnés» sont en effet mises entre parenthèses, mais pas remises
en cause. Chacun des sept conserve ainsi ses revendications mais
s’engage à ne pas les exercer.
Michel Rocard, qui fut avec Robert Hawke l’initiateur et l’architecte du
Protocole de Madrid, se dit confiant dans la robustesse du texte. «Le
protocole pourra être modifié à partir de 2048, en cas d’accord des
trois quarts des 12 Etats consultatifs (disposant d’un poids
prépondérant dans le système du traité), dit Michel Rocard. Or, à cette
date, le monde fera durement l’expérience de l’accélération du
réchauffement déjà en cours: aller chercher des hydrocarbures en
Antarctique ne semblera une idée pertinente à personne.» «Mais,
aujourd’hui, le fait que nous allons vers une période de manque de
ressources affole tout le monde, poursuit Michel Rocard. Et il faut
rappeler que le système du traité ne prévoit aucun moyen coercitif pour
empêcher quiconque de faire ce qu’il entend faire.»
De même que d’autres traités internationaux, celui sur l’Antarctique
demeure donc suspendu à la bonne volonté de ses parties. Que l’une
prenne des libertés avec le texte, et ce peut être le début d’un
effritement dangereux. Effritement potentiel à prendre d’autant plus au
sérieux que le ballon d’essai lancé par les Russes n’a, pour l’heure,
suscité aucune protestation officielle de la part des gouvernements des
autres Etats parties.
De plus, ce ballon d’essai est lancé alors que la Chine renforce ses
positions en Antarctique. Sa nouvelle base de Kunlun est située à près
de 4000 mètres d’altitude, surplombant ainsi toutes les autres stations
scientifiques du continent. Le symbole est d’autant plus fort que
l’intérêt scientifique de cette localisation n’a guère semblé évident
aux parties consultatives, chargées de donner ou non – théoriquement sur
le seul critère de l’intérêt scientifique – l’autorisation à
l’implantation de ces stations.
«Les noms patriotiques donnés par la Chine à ses stations scientifiques
[…] impliquent un nationalisme latent de la politique chinoise sur
place, note le Lowy Institute dans son rapport. Des informations font
état de ce que la base de Kunlun arbore un panneau «Bienvenue en Chine»,
ce qui suppose un déni des revendications australiennes.»
|